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La version des gentils éditeurs contre le méchant Amazon (auquel il faudra bientôt, heureusement, ajouter Barnes and Noble en espérant que Kobo parvienne rapidement à dépasser son partenariat peu dynamique avec la Fnac qui semble encore préférer vendre du papier) ne résiste pas à l’observation des faits.
La référence sur le milieu reste les Illusions perdues de Balzac.
Plus proche de nous, Léon Bloy essaya de publier Le désespéré en 1886. Les éditions Stock (eh oui, l'éditeur de madame la Ministre, comme c'est intéressant !) accepta même d'aider l'auteur durant l'écriture de son roman en lui avançant cinq francs par jour. Mais le 10 novembre 1886, Pierre-Victor Stock refusa de le mettre en vente : des journalistes menaçaient de boycotter l'éditeur si une telle vérité sortait.
[La maison Stock a fêté ses trois cents ans en 2008. Née le 8 mai 1708, quand André Cailleau fut "reçu libraire-éditeur" ; Pierre-Victor Stock en prit la direction en 1877, la rebaptisa à son nom. L'éditeur de Voltaire et Rousseau tomba dans l'escarcelle Hachette en 1961.]
Il faudra attendre 1913 pour qu'une édition digne de ce nom puisse être publiée, chez Crès. Depuis, ce combat est devenu un classique, néanmoins peu lu...
Quant aux contemporains, La littérature sans estomac de Pierre Jourde, Petit déjeuner chez Tyrannie d'Eric Naulleau ou Ma vie (titre provisoire) de Jack-Alain Léger sont suffisamment éloquents pour conclure qu’un système mauvais dès le départ, basé sur l’exploitation maximale des écrivains, s’est, en deux siècles, affiné, industrialisé.
J’aime beaucoup Ma vie (titre provisoire). Et même pas pour son utilisation de presses lotoises en juin 1997 ! (ce qui ne fut le cas d’aucun de mes livres, ayant toujours trouvé ailleurs un meilleur rapport qualité prix)
Jack-Alain Léger fit une entrée fracassante dans le monde des lettres en 1976, avec "Monsignore", chez Robert Laffont : trois cent mille exemplaires, adaptation au cinéma, traduction en vingt-trois langues. Ses livres suivants ne parvinrent pas à renouveler le succès. "Ma vie (titre provisoire)" est donc le résumé de cette chute dans la considération du milieu littéraire. Néanmoins, au même moment, il réussissait une nouvelle percée, sous le pseudonyme masqué de Paul Smaïl, un nouveau best-seller "Vivre me tue". Ce « témoignage d'un jeune beur » publié chez Balland était donc fictif, ce qui choqua certains, quand l’identité de l’auteur fut connue, en l’an 2000. Sûrement les critiques qui ne l’aimaient pas et se sont retrouvés à promouvoir ce texte ! Vive les pseudonymes ! Comme si la littérature, ce n’était pas un jeu de rôles !
« J’ai su alors ce que peut nourrir de haine à l’endroit d’un écrivain uniquement écrivain la pègre des gens de lettres dont Balzac a si exactement dépeint les moeurs dans Illusions perdues, moeurs qui n’ont pas changé, si ce n’est en pire : vénalité, futilité, servilité.
J’avais perdu mes dernières illusions sur ce milieu dont les pratiques ressemblent tant à celles du Milieu : parasitages de la production, chantages à la protection, intimidations, etc. Publication de livres que l’éditeur juge médiocres ou invendables mais qu’il surpaie à des auteurs disposant d’un pouvoir quelconque dans les médias... (...) Fabrication par des nègres et des plagiaires d’une fausse littérature qui, comme la mauvaise monnaie, chasse la bonne... Calomnies et passages à tabac pour les rares francs-tireurs. « Nous avons les moyens de vous faire taire définitivement ! » me dit, sans rire, un critique, par ailleurs employé d’une maison d’édition et juré de plusieurs prix littéraires auquel j’ai eu le malheur de déplaire. Je n’étais d’aucune coterie, détestant ces douteuses solidarités fondées sur des affinités sexuelles, politiques ou alcooliques, voir une simple promiscuité au marbre d’un journal ou à la table ovale d’un comité de lecture ; j’étais puni. On me faisait payer cher de n’avoir jamais eu de « parrain ». »
Le système de l'édition classique, longtemps indispensable, semble plutôt mauvais, tout simplement car il cherche à exploiter l'écrivain plutôt qu'à lui rendre service.
Ce qui peut se comprendre d’une activité commerciale. Mais les éditeurs "exigent" qu’on leur accorde qu’ils agissent au nom d’une haute idée de la Littérature, ce qui n’a jamais existé ! Il y eut bien quelques éditeurs pour miser sur des écrivains mais ils misaient, comme sur un bon cheval. Les médias qui ont longtemps trouvé leur intérêt à propager l’édition bisounours, vont se réveiller ? Certains balancent parfois... mais l’essentiel reste préservé : aucune véritable présentation du modèle alternatif, l’auto-édition.
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